%0 Journal Article %J Actes de la recherche en sciences sociales %D 1976 %T Anatomie du gout %A Bourdieu, Pierre %A Saint-Martin, Monique de %X Sur la base d'une enquête par questionnaire (n = 1217), portant sur un ensemble de domaines communément tenus pour exclusifs (peinture, musique, photographie, cuisine, décoration, vêtement, etc.),de monographies et d'entretiens approfondis et d'une analyse secondaire des données statistiques actuellement disponibles, on a voulu construire et vérifier une théorie systématique de l'habitus, comme système de schèmes produisant des effets homologues dans des champs de pratique très différents et comme médiation entre l'espace des positions sociales et l'espace des styles de vie. Le goût comme propension et aptitude à s'approprier une classe déterminée d'objets (mobilier, vêtements, etc.) et de pratiques (peinture, musique, etc.) est en effet une des dimensions de l'habitus, c'est-à-dire d'un système de dispositions durables et transposables qui exprime, sous forme de préférences systématiques, les nécessités objectives dont il est le produit : la disposition esthétique elle-même (qui constitue la condition de l'appropriation légitime de l'oeuvre d'art) est une dimension d'un style de vie où s'expriment, sous une forme méconnaissable, les caractéristiques spécifiques d'une condition définie par la neutralisation de la nécessité économique. On peut alors analyser et caractériser les styles de vie des différentes classes sociales en les référant aux conditions objectives d'existence de chaque classe et à l'importance de leur capital culturel. On observe que les classes sociales se distinguent moins par le degré auquel elles reconnaissent la culture légitime que par le degré auquel elles la connaissent. C'est ainsi que l'on doit abandonner le mythe d'une "culture populaire" comme culture antagoniste pour comprendre dans sa logique spécifique un mode de vie systématique qui n'apparaît comme un style de vie que par référence à la stylisation de la vie dont la classe dominante a le monopole. L'élément le plus caractéristique du style de vie de la petite bourgeoisie réside dans le rapport particulier que cette classe entretient avec la culture : celui-ci se caractérise par un écart très marqué entre la connaissance et la reconnaissance qui est au principe de la prétention culturelle sous ses formes différentes selon le degré de familiarité avec la culture légitime (bonne volonté, hypercorrection, aisance forcée, etc. ). Pour mettre en marche la dialectique de la prétention et de la distinction qui est au principe de la transformation permanente des goûts, il ne reste plus qu'à introduire la distinction "naturelle" des membres de la classe dominante : indigènes de l'art de vivre légitime, ils détiennent le monopole de l'aisance et de l'assurance que donnent la familiarité et la compétence assurées par les apprentissages les plus précoces et les plus prolongés. Mais du fait que la classe dominante est le lieu naturel de la distinction, il n'est pas surprenant que l'analyse y découvre, presque à l'infini, des oppositions entre les diverses fractions qui la composent : opposition des professeurs, fraction riche en capital culturel, aux patrons, fraction riche en capital économique, des membres des professions libérales aux professeurs et aux patrons, des anciennes fractions aux nouvelles, des fractions provinciales aux fractions parisiennes, etc. Le goût de l'avant-garde artistique se comprend dès lors comme opposition généralisée aux goûts des différentes fractions : d'une part au goût intellectuel ou pédant des fractions riches en capital culturel et d'autre part au goût bourgeois, goût moyen ou goût de luxe des fractions riches en capital économique. A un niveau inférieur, on observe, à l'intérieur du goût petit-bourgeois, des variantes qui s'organisent selon une structure similaire. %B Actes de la recherche en sciences sociales %V 2 %P 2-81 %G french %U http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1976_num_2_5_3471 %N 5 %! Anatomie du gout %R 10.3406/arss.1976.3471