Le mort saisit le vif

TitleLe mort saisit le vif
Publication TypeJournal Article
Year of Publication1980
AuthorsBourdieu, P
JournalActes de la recherche en sciences sociales
Volume32
Issue1
Pagination3-14
Publication Languageeng
Abstract

Le mort saisit le vif. Constituer des mots désignant des institutions ou des collectifs {-Etat}, Patronat, Eglise, Famille, etc.- en sujets historiques capables de poser leurs propres fins, c'est faire de l'histoire un affrontement de pouvoirs sociaux à la fois mécaniques et anthropomorphiques (comme la notion {d'Appareil).} C'est cette même philosophie de l'histoire qui incline nombre d'historiens à penser la recherche historique comme une recherche des origines et des responsabilités, transformant le plus souvent la fin de l'histoire en fin des actions historiques. Contre cette vision machiavélienne et cette illusion téléologique, il faut rappeler que la raison d'être des institutions et de leurs effets sociaux n'est pas dans la «volonté» des individus ou des groupes mais dans les champs de forces antagonistes ou complémentaires. L'action historique est le résultat de la rencontre entre deux états de l'histoire : l'histoire à l'état objectivé (machines, monuments, livres, théories, coutumes, etc.) et l'histoire à l'état incorporé (dispositions). Et l'on peut saisir cette dialectique entre les habitus et les positions sociales aussi bien dans ce secteur mal défini de la structure sociale où s'inventent de nouvelles professions que dans celui, plus réglé et rigide, des professions bureaucratiques. Parce que ce qui a été (l'histoire) s'inscrit dans les choses et dans les corps, chaque jour que dure un pouvoir voit s'accroître la part d'irréversible avec laquelle doivent compter ceux qui veulent le renverser, comme on le voit bien dans les situations post-révolutionnaires où l'histoire réifiée et incorporée oppose sa résistance aux dispositions révolutionnaires. Reconnaître l'existence de la pesanteur de l'histoire faite chose n'est pas s'y soumettre, la liberté ne consistant pas à nier magiquement ces adhérences mais à les connaître pour agir en connaissance de cause.

URLhttp://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1980_num_32_1_2077
DOI10.3406/arss.1980.2077
Short TitleLe mort saisit le vif